On n’hérite pas d’une terre. On la mérite.
Pour ce cinquième épisode, je suis très heureuse de recevoir le chef Julien Médard. Depuis 2014, il est à la tête de “Maison Médard” anciennement “l’Ardoise du marché”, un restaurant 1 étoile au cœur de Boulleret, un petit village Berrichon. Au fil des années, il a développé une forte démarche éco-responsable, notamment en proposant une cuisine locale qui met la priorité sur le circuit court et en entretenant un contact direct avec ses producteurs. Pour lui, le respect du vivant doit même aujourd’hui être indissociables d’une Gastronomie étoilée.
Je suis heureuse de vous partager ici le fruit de notre échange sur sa démarche et ses engagements.
Quasiment 98% des choses qui sont mises sur table chez nous sont fabriquées sur place.
Le site : www.maisonmedard.com
Instagram : @maison_medard
Le classement Terre de vins
Le couteau L’épicurien
Le coup de cœur de julien : Le Safran du Berry
Peux tu te présenter ?
L’évolution de ces 10 dernières années
Liens étroits avec les producteurs
98% fait maison : Liqueurs, jus, vinaigre…
La 3ème écotable
La passion du vin et comment cela influence sa cuisine
L’expérience client et les couteaux L’épicurien
« L’ardoise du marché » devient « Maison Médard »
Une identité visuelle réussie
Est-ce que tu peux te présenter, raconter un peu ton parcours et comment tu en es arrivé jusque là ?
J’ai un parcours assez classique, j’ai démarré dans une auberge de campagne puis quelques restaurants gastronomiques et Étoilés Michelin. À 26 ans, je suis chef de cuisine à Strasbourg, et j’avais déjà cette volonté de faire du local, du zéro déchet. Mais avec les patrons, on n’avait pas la même vision, on ne se comprenais pas. Donc, j’ai monté mon propre restaurant, avec ma propre vision. On ne jette rien, on utilise tout et ce qui n’est pas utilisé va aux poules et ensuite on mange les poules. Et aujourd’hui, je suis quand même assez fier de ne pas mettre les pieds dans un métro ou un promo cash où l’on ne maîtrise pas l’arrivage. Alors qu’aujourd’hui, je maîtrise quasiment tous les produits qui rentrent chez moi. Et je sais qui est-ce que je fais vivre, à qui je donne l’argent. Pour moi, c’est important.
L’année prochaine, ça va faire dix ans que le restaurant existe. Comment ta pratique du métier et le restaurant lui-même a évolué en dix ans ?
Déjà, au début, on ne voulait pas d’Étoile. Vraiment pas. C’est pour ça que ça s’appelait L’ardoise du Marché à l’époque, c’était un bistrot. Moi, sorti de gastro, amoureux des beaux produits, on a fait une petite carte et puis après, on faisait des suggestions avec des plats un petit peu plus recherchés, un peu plus travaillés, des produits un peu plus haut-de-gamme. Et on s’est rendu compte que c’était ceux qu’on vendait le plus, en dépit du prix plus élevé. Et en 2018, on a une première visite du guide Michelin qui nous pose une question : Pourquoi on ne baisserait pas les prix pour chercher un Bib gourmand ? Mais si je baisse les prix, je baisse la qualité. Et ce n’est pas ma vision. Mon but, c’était pas d’aller à métro, prendre des trucs pas chers et faire à manger. Donc à ce moment-là, avec Delphine, on comprend qu’il y a un message derrière tout ça. C’était soit on montait, soit on baissait. Et moi, je suis pas du genre à baisser ! Alors en 2019, on a refait toute la salle du restaurant parce qu’on savait que c’était le point noir pour avoir l’étoile. Même s’ils disent que l’ambiance et la salle ne jouent pas, il y a quand même un standing à tenir un minimum quand même. On a eu l’assiette Michelin deux années de suite et en 2021, juste après la réouverture de la nouvelle salle, l’étoile ! On avait vu les choses arriver, on avait recruté du personnel aussi, parce qu’il faut un staff qui soit solide. Avant, j’étais tout seul en cuisine et aujourd’hui, on est cinq. Delphine était seule et aujourd’hui, ils sont quatre. En tout, on a presque dix salariés aujourd’hui.
Et ta cuisine, comment elle a évoluée au fil des années ?
Quand on veut proposer une carte qui change régulièrement, ça demande beaucoup. Ce que je veux, ce n’est pas juste avoir du local, mais avoir du local bien fait, du bio ou du plein air, quelque chose qui a du sens. Trouver les bons fournisseurs demande du temps aussi. Il faut créer une relation de confiance. Aujourd’hui, j’ai trois fournisseurs en maraîchage, trois fournisseurs de viandes à côté, un éleveur de bufflonne, trois éleveurs de volailles. Ensuite, on a le safran, les lentilles, un producteur de graines, un producteur de caviar… Quand on a répertorié la dernière fois, on était à plus de 20 fournisseurs. Et on ne compte pas les vignerons, plus de 800 au local.
« Aujourd’hui, je peux maitriser quasiment tous les produits qui rentrent chez moi. Et je sais qui est ce que je fais vivre, à qui je donne l’argent. Et ça c’est important. »
Vos engagements se traduisent d’abord par une cuisine respectueuse du travail de tes producteurs, de ceux qui cultivent, qui élèvent, qui produisent. D’ailleurs, sur Instagram, on voit que tu entretiens au quotidien des liens étroits avec tes producteurs. On te voit aller chercher les truffes avec tes équipes, visiter un champ de maïs, aller à la cueillette aux champignons, faire les vendanges… Est ce que c’est des habitudes que tu as réellement ?
(Rires) Je ne peux pas me permettre d’y aller toutes les semaines, mais oui, j’essaye d’aller les voir au moins une fois par an. Forcément, j’ai plus d’affinités avec certains. Les bufflonnes, je les vois très souvent parce que ce sont des animaux que j’aime beaucoup et des gens avec qui je m’entends très bien. La volaille, j’aime y aller régulièrement pour voir comment ça bouge, ce qu’il a mis en place, comment il les nourrit. C’est des choses que je surveille quand même, car ça joue réellement sur la qualité de la volaille. Les truffes, ça ne dure pas très longtemps, mais j’aime toujours aller faire un petit tour. C’est un truc assez rigolo, comme une chasse aux trésors. Et je partage ça avec mes équipes parce que moi, je n’ai pas eu la chance de le vivre avec mes anciens chefs. Et je crois que, de savoir comment on trouve une truffe, quand il fait -10°C et qu’on met les mains dans la terre, on la respecte plus quand on la voit après dans une boîte bien rangée, bien propre, dans la chambre froide. Il y a un vrai travail derrière parce que le trufficulteur, il a peiné à enlever toute cette terre, il les a brossées une par une, canifées, puis des fois, il s’aperçoit qu’elle est morte. Donc, il y a un réel travail derrière qu’il faut respecter et ça, c’est important qu’en cuisine, ils s’en aperçoivent.
J’essaie toujours de faire un tour au moment des vendanges. Mais je suis à la vinification. On goûte les raisins, on goûte les jus. Je peux voir la qualité des jus qui vont sortir pour chaque millésimes, ça me donne une vision de ce que je vais pouvoir acheter ou pas. Ça me permet aussi de voir comment il travaille. J’ai un autre pote, Marius, avec qui on s’est lancé dans le verjus ( le vinaigre ). On récolte les petits raisins tout verts qui ne sont pas mûrs et très acides, on les presse et on fait notre vinaigre de vin. Il n’y a pas de sucre dedans, ils ne sont pas montés en maturité. Du coup, en les faisant fermenter, on arrive à avoir des vinaigres très aromatiques. Cette année, on en a fait une vingtaine de litres et puis ça a plutôt bien marché en cuisine. Cette année, on va en faire un peu plus. Et peut-être en vendre au restaurant, voilà, des choses qu’on fait nous mêmes aujourd’hui.
D’ailleurs, il me semble que tu fais aussi des sirops, des liqueurs…
Oui, on fabrique toutes nos liqueurs. Là, on fait de la liqueur Pinot des Charentes, un peu style sangria, avec un peu d’écorce d’orange et de la cardamome noire qui amène un petit goût de tabac. Ça fait une liqueur un peu fumé. On fait des macérations avec et ensuite on fait notre cocktail rallongé de champagne. Et ça, ça change toutes les saisons. On en fait plein. Comme les jus de fruits, pareil, il n’y a plus de jus de fruits industriels chez nous. Tous les jus de fruits sont fabriqués par nos soins, en fonction des saisons aussi. Là, on a fait des jus Pommes / gingembre / poivre Timur, par exemple. On sert ça et des limonades bio ou locales. Et on a le Berry Cola, on a de la chance. Mais s’il n’y avait pas de Berry Cola, on ne prendrait pas de Coca Cola.
Moi, faire venir des trucs des États Unis ou de je ne sais où, qui ne respectent pas l’écologie, c’est pas possible. Je ne sais plus combien il faut de litres d’eau pour faire un Coca Cola, mais c’est juste monstrueux. Après, chacun fait ce qu’il veut mais moi je ne suis pas un consommateur de Coca, je préfère une bonne bière locale, c’est beaucoup plus sain. Le houblon, ça fait de mal à personne. Mais c’est vrai qu’on essaye d’enlever tout ce qui va être de l’industriel chez nous, tout ce qui peut être lié à de la grosse quantité. On travaillait avec Alain Millat qui était très bon en jus de fruits, il est très réputé. Mais on sait pas d’où viennent ces pommes. Alors que j’ai une production de pommes à côté de chez moi. Après, je vous avoue que le jus de fruits, ce n’est pas ce qu’on vend le plus non plus. On passe plus de Sancerre que de jus de fruits. On fabrique 3, 4 litres de jus à chaque fois. On met ça dans des petites bouteilles qu’on stérilise, on garde ça au frais et puis on a un mois et demi pour les vendre. Ça se fait plutôt bien et les gens apprécient la démarche de jouer le jeu jusqu’au bout.
Parce qu’on peut pas se dire éco-responsable en ayant du Coca. On avait le problème avec le café, on était chez Nespresso. Quand on a eu les deux écotable, on s’est fait taper sur les doigts par un peu tout le monde en disant « C’est bien, vous recyclez tout, mais le café, c’est un peu limite. » Du coup, on a viré les cafés Nespresso. On ne travaille désormais qu’avec du café grains bio d’un torréfacteur local. Alors on s’est dit « Si on a le café, c’est une connerie de garder les jus de fruits. » Les jus de mangue ou jus d’abricot qui viennent de chez pas d’où. Donc on s’est dit « On va travailler les fruits de saison et puis on va s’en occuper nous. Puis après, sur les cocktails, c’est pareil. On s’est dit « C’est bien de faire des cocktails, mais acheter de la crème de cassis ou un truc comme ça, on a toujours quelque chose qui peut remplacer.
Après, c’est sûr, ça demande du temps, de la créativité, mais c’est plutôt enrichissant. Puis on peut dire que quasiment 98% des choses qui sont mis sur table chez nous sont fabriquées sur place. Pour nous, c’est quand même une grande valeur ajoutée au travail qu’on fait tous les jours en cuisine. On essaye de l’amener aussi beaucoup sur la table en salle.
Vous avez effectivement obtenu l’année dernière votre troisième écotable.
Qu’est ce que ça signifie justement pour toi ? Et est ce que ça a un impact sur le restaurant ?
Pour la clientèle, ce n’est pas encore quelque chose de très connu écotable, mais pour nous, c’est une fierté, forcément. Troisième, ça veut dire qu’on fait les choses dans le bon sens. On a mis beaucoup de choses en place et ils nous aident beaucoup à nous améliorer. Là, on va rentrer des composteurs. On trie les huiles et on a une société qui ramasse les huiles végétales et animales. Ça, c’est quand même un effort plus aussi. Toute l’électricité est en énergie verte, toutes les ampoules sont en LED. Le café faisait partie aussi de ces points là. Les jus de fruits, on nous demandait d’avoir que du local, donc on a éradiqué le truc, on fait de l’extra local maintenant. Le vin, c’était quelque chose de facile pour nous. Il y a un cahier des charges qui est draconien pour la troisième écotable. Tous les poissons aussi, il faut que ce soit pêché en France à tant de kilomètres de la côte. Ça, ce n’était pas un problème non plus parce qu’on n’utilise que ça ou que des pêches MSC ou éco-responsables.
On ne jette (presque) rien. Les peaux de panais, par exemple, on va les torréfier et ça amène des arômes de café dans les plats. On fait des beurres avec, des sablés. Là, on a fait un dessert panais, avec un sucre glace panais, peau de panais. Ça amène des petites notes de café dans le dessert, c’est surprenant. Là, on attaque les asperges et on a fait un bouillon d’asperges brûlées. Les peaux d’asperges, on les fait brûler au four et après en infusion, c’est pareil, ça amène des notes assez spécifiques, un peu fumées. Tout ce qui est fane, on n’en parle même plus. Ça se déshydrate, on fait des poudres, des gelées… Ça demande beaucoup de technique derrière, mais c’est passionnant aussi de s’amuser un peu avec l’entièreté du produit.
C’est un retour à des savoir-faire qu’on a perdu avec le temps. Il y a des choses qu’on faisait déjà il y a 50 ans. C’est comme labourer les champs, les vignes. À un moment, ils ont tous mis du Round’up parce que c’était plus facile. Sauf que la vigne, quand elle boit du Round’up, ça fait pas le même vin. Après, on se dit que « ah, c’est bizarre, ça donne mal à la tête ». Mais oui, je pense que le Round’up, pour l’être humain, c’est pas ce qu’il y a de mieux. Et aujourd’hui, on en revient à des trucs bio où on entretient les sols, puis on s’aperçoit que la vigne va mieux, on s’aperçoit que le vin est meilleur. Et dans les moments de sécheresse qui s’intensifient, tous ceux qui travaillent bien la vigne, et bien la vigne ne souffre plus. On a eu une économie un petit peu feignante pendant un moment où tout devait être facile, rapide, avoir de la quantité et la qualité, on s’en foutait un peu. Et maintenant, on revient plutôt sur des standards qualitatifs. Et si on a le quantitatif, forcément, pour le business, c’est toujours mieux.
Mais ils cherchent la qualité avant tout et le bien de l’environnement. Et ça, c’est quand même bien.
Est ce que t’as vu une évolution auprès de tes producteurs sur ces 10 dernières années ?
C’est plus facile pour toi de trouver aujourd’hui des gens qui font bien les choses ?
L’évolution, c’est le changement de génération. Tous les vieux producteurs, ils sont conventionnels, ils ne veulent pas en changer. Parce que d’une, déjà, ils sont bientôt à la retraite, ils se disent « Non mais moi, je ne vais pas me lancer dans un truc que je ne maîtrise pas à cinq ans de la retraite et puis foirer toutes mes récoltes et puis me retrouver comme un con sur la paille ». Par contre, les jeunes qui reprennent les exploitations, eux sont tous partis dans le bio. Pas forcément chercher le bio bio, mais faire les choses bien, faire du raisonné, faire les choses correctement, de façon à sortir une qualité et préserver cette planète.
Delphine et toi, vous êtes tous les deux passionnés de vin, amoureux de la vigne et vous avez à cœur de faire découvrir les plus belles AOC de la région. Avec plus de 800 références dans votre vinothèque, vous avez d’ailleurs été sélectionné dans le top 100 des meilleurs cars de vin de France par Terre de vins. Franchement, je me demande toujours comment on peut avoir la mémoire de 800 vins. Comment on s’y retrouve ?
Il faut les boire souvent ! (rires) Généralement, quand on ouvre une bouteille à un client, on la goûte. Ça rappelle les choses. Déjà, ça permet de vérifier s’il est bon ou pas par rapport aux souvenirs qu’on en avait, de savoir si ça vaut le coup de le servir aux clients ou pas. Parfois, ça peut arriver, on n’est pas dans la bouteille et avec toutes les vigneronnes qui sont de plus en plus sur le naturel… Des fois, malheureusement, ce n’est pas le moment de le boire, ça peut arriver. Il y a aussi des mauvaises lunes pour le vin. Goûter, ça permet aussi de pouvoir maintenir cette mémoire du vin. Il faut goûter régulièrement, il n’y a pas de secret. Mais goûter, ce n’est pas boire la bouteille !
Et cette passion pour le vin, elle influence ta cuisine ?
Oui, beaucoup. Beaucoup, parce que j’ai une cuisine bien particulière quand même, qui est assez incisive. J’utilise beaucoup de choses un peu acide ou des choses un peu peps, ce qui fait que les vins en face, il faut quand même qu’ils suivent. J’aime beaucoup la finesse. Je suis quelqu’un qui aime les vins plutôt fins, pas trop forts. J’aime quand c’est équilibré.
En puis en général, on a 50 % des clients qui optent pour les accords mets & vins. La semaine, on a un petit menu en quatre services, ce qui fait qu’une bouteille de vin peut aller dessus. Surtout un midi, on fait plutôt un vin coup de cœur plutôt qu’un vin de gastronomie, surtout que ce menu là est plutôt facile, on va dire. Ce n’est pas des menus trop complexes pour les palais, avec des mélanges trop spécifiques. Et ensuite, on a les menu en six ou huit services. Et là, mettre une bouteille sur tout ça, ça devient compliqué. Vaut mieux faire un verre de vin avec chaque plat, qui est en quantité beaucoup plus petite en plus, ce qui permet de pouvoir vraiment allier le vin et le plat. Parce que boire un Bordeaux sur un œuf mimosa à la carotte. Certes, le Bordeaux est sûrement très bon, l’œuf mimosa aussi, mais je ne suis pas sûr que quand on les met ensemble, ça fonctionne super bien. Donc pour les épicuriens qui aiment découvrir aussi des vins à l’aveugle, on peut vraiment s’amuser si les gens sont joueurs. Parfois, on annonce, parfois pas. Nous, on fait une visite de la France sur les Accords Mets & Vins ! Après, sur demande, pour les touristes, on fait aussi que du local. Si c’est des Bordelais ou des Bourguignons, même s’ils sont chauvins, ils veulent boire un peu de chez nous. C’est assez sympa parce qu’on est sur les mêmes cépages, mais pas du tout les mêmes façons de faire, pas du tout les mêmes terroirs, pas du tout les mêmes climats. Et on arrive à avoir quatre à cinq vins complètement différents.
On a même des clients qui viennent pour la carte des vins ! Parce qu’ils peuvent se faire plaisir, parce qu’on reste plutôt abordable pour un étoilé. On va de 40 euros à 6 000 euros. À 6 000, j’en ai qu’une et c’est pas celle qu’on vend le plus, mais des vins entre 40 et 100 / 150 euros, on en a quand même énormément, donc il y a moyen de trouver des petites pépites quand on s’y connaît un peu.
L’avantage et le désavantage qu’on a, c’est qu’on a beaucoup de vins, oui, mais on n’a pas de grands noms. À part Romanée-Conti, Rajas, tout le monde connaît. Mais après, nous, ce qui nous intéresse, c’est plutôt le petit producteur. C’est pareil que sur la cuisine. Je ne vais pas aller chercher du Chapoutier. Ils font des choses bien, ces gens là, je n’ai rien contre eux. Mais l’histoire, elle n’est pas plus belle que si je prends un Saint Perret de chez un petit vigneron !
Quand je suis en vacances, s’il y a un vignoble pas loin, je vais déguster. Et j’aime bien voir le viticulteur, comment il travaille, discuter, c’est toujours passionnant parce qu’ils sont tous différents comme nous, les chefs de cuisine. Ils ont leurs recettes à eux, chacun. Et après, quand je mets un vin à la carte, et qu’on arrive à table, au moins, on sait de quoi on parle : « Tiens, j’étais là bas, il est sur tel coteau, c’est magnifique. Il vinifie de telle façon, avec des vieux fus, des fus neufs… ». Quasiment tout ce qui est rentré ici, c’est moi qui le valide. J’aime bien tout maitriser, je veux savoir ce qu’il y a.
Et quand propose un accord, je regarde ma carte des vins, je me dis « Tiens, qu’est ce qui va avec ça ? » On goûte, des fois, ça ne marche pas du tout, l’accord. Donc on essaye de boire la bouteille, c’est dommage. Ça permet un peu de goûter, de se rappeler. Et au pire, on se dira « Tiens, ce vin là, il n’allait pas avec ce plat, mais par contre, il ira avec celui là. Donc des fois, on fait des plats juste pour le Vin aussi.
Je voulais aussi aborder avec toi le sujet de l’expérience client, de tout ce qui se passe autour de l’assiette qui renforce les histoires que vous avez envie de raconter à vos clients et qui contribue justement à ancrer le souvenir pour eux. Je pense notamment au couteau que tu fais choisir au client, un couteau qui a une histoire, un clin d’oeil à ton grand père ?
En fait, il y a trois ans, j’ai mangé chez lui et je le vois sortir son couteau. Il le sort, il mange. Au dessert, il finit sa pomme et il le plie, il le range. Et là, je me réalise que le couteau, il marque le début et la fin du rituel du repas. Moi, je suis fan de couteaux, j’ai quelques très belles pièces de couteau chez moi. Alors avec Delphine, on s’est dit que ça serait chouette de pouvoir mettre en place pour nos clients. En plus, c’est « L’épicurien » de chez Le repère David. Quand on le ferme, il ressemble à un cigare, chose que j’apprécie aussi énormément, de bons cigares. Je me suis dit que là, on allait allier deux choses en même temps. On propose aux gens de choisir leurs couteaux pour faire un peu ce que mon grand père fait à la maison. On a eu des problèmes au début, forcément, quelques réflexions parce que quand on passe du poisson à la viande, on a eu des clients qui nous ont dit « Oui, mais il faudrait changer les couteaux à ce moment là. » Mais mon grand père, il ne change pas de couteau. On fait ça depuis 2 ans et maintenant, les gens ont pris l’habitude, ils adorent. Et quand ils reviennent au restaurant avec des amis, ils disent : « Tu vas voir, tu vas choisir ton couteau. »
Y a t’il d’autres attentions que vous avez mis en place dans le service ou autour des assiettes pour raconter des histoires ?
Beaucoup de nos plats ont des histoires. Mais on a aussi nos petits beurres. Parce que moi, je suis un fada de pain et beurre. Je pourrais manger ça au petit déjeuner tout le temps. Et dans beaucoup de restaurants où on allait, on avait un beurre pour toute la table. Il fallait attendre ton tour pour te servir du beurre. Moi, je trouve ça chiant et quand on est en dîner d’affaires, c’est toujours un peu gênant de « Tiens, tu peux pas me passer le beurre ? » Alors j’ai fais trois petits beurres, pour chaque personne. Comme ça, pas de gêne, on tape dedans quand on veut, c’est gourmand. On a un beurre fermier qu’on aromatise. On était à la chasse aux orties la semaine dernière et on a fait des beurres aux orties, par exemple.
Pour finir, je voulais revenir sur un événement important de l’année 2022.
« L’ardoise du marché » est devenue Maison Médard. Est-ce que tu peux revenir sur les raisons de ce changement ?
L’ardoise du marché, c’était un bistrot à la base. Quand on a eu l’étoile Michelin, on nous a dit que ça ne faisait pas du tout étoilé Michelin. On a voulu changer de nom. J’ai eu du mal à accepter que mon nom soit sur une façade parce que je trouvais cela un peu prétentieux et que je suis quand même quelqu’un d’assez réservé. C’était toute une équipe de com’ qui était derrière moi et qui me proposait des choses et celui là, je ne voulais pas en entendre parler. J’ai mis six mois avant d’accepter et de dire « oui, on va le faire ». Parce que ça représente une maison et nous, on accueille comme à la maison, on a les couteaux comme à la maison, on a les petits beurres comme à la maison. Nous, ce qu’on veut, c’est vivre un moment convivial et familial dans une gastronomie haut-de-gamme.
Pour concrétiser cette évolution, j’ai eu la chance de travailler sur votre identité visuelle. Ce changement de logo, il signifiait quoi pour toi ? Est ce que ça a changé quelque chose pour toi, pour le restaurant, pour les clients ?
C’était important « d’enraciner » ce qu’on avait déjà commencé à faire. On a enraciné le nom, on a enraciné cette maison et tout le concept qu’on avait, déjà mis au point. Forcément, tu nous as proposé des racines dans le logo, ça nous a tout de suite parlé et ça correspondait vraiment à ce qu’on voulait faire. C’était vraiment dans le mille.
On en a beaucoup discuté avec les gens au début, parce que forcément, c’est nouveau. « C’est joli, t’as fait des racines. » Oui, pas que ça, mais c’est une vraie histoire derrière. Et il y en a beaucoup qui ont compris et qui nous ont dit « C’est carrément vous ». Surtout quand on va sur le site internet avec l’animation visuelle du logo. Ça prend tout son sens quand on le voit à ce moment là. Mais de toute façon, tout ce qui est communication visuelle, je pense qu’on ne fait pas n’importe quoi n’importe comment. Les cartes de visite, ça n’a rien à voir avec ce qu’on faisait avant.
Mais est ce qu’on a un impact réel sur le taux de remplissage ? Difficile à dire car depuis la réouverture post covid et l’étoile, c’était un peu l’euphorie. Là, on a repris un rythme de croisière plutôt normal, on va dire. Ça commence à ralentir seulement depuis janvier 2023. Mais c’est vrai que ça réserve de mieux en mieux. Déjà, le site d’avant était un peu merdique, il faut l’avouer. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus visuel, c’est beaucoup plus qualitatif, c’est plus en lien avec ce qu’on fait aujourd’hui. Avant, il n’y avait pas de photo. Avant de venir chez nous, les gens passent par le site et si on ne leur donne pas envie… Je pense qu’on doit être bon sur tous les paliers. On ne doit pas être bon qu’en cuisine. Depuis, on a aussi changé notre communication Facebook et Instagram et on sait qu’on a des clients qui sont venus grâce à ça. Mais après, difficile de quantifier les choses. Tout s’est passé en même temps.
Je voulais ajouter quelque chose au sujet de tes supports de communication. Pour la carte de visite par exemple, je voulais rappeler qu’on avait choisi des papiers recyclés issus de déchets de l’industrie agro alimentaire, des lies de vin, pour soutenir encore un peu plus tes engagements éco responsable. On a aussi opté pour des impressions qui utilisent le moins d’encre possible. C’était des petits détails. Le logo lui même, il est éco conçu. Pour appuyer ta démarche.
C’est vrai que quand on met tout bout à bout, il y a quand même une démarche qui est assez complexe. Au final, on se rend compte qu’on a mis beaucoup de choses en place. Ça va jusqu’au basket des serveurs qui sont en cuir recyclé. Aux serviettes avec du lin normand, tout transformé en France…