Mardi 8 avril. Direction Poissy. Nous avons rendez-vous avec Monsieur B.
Créateur d’une marque d’épicerie fine et dénicheur de trésors de nos terroirs, Monsieur B. a pour ambition d’exporter un peu du savoir-faire et du savoir vivre à la française. Il a fait appel à moi pour le conseiller et le diriger dans la conception des étiquettes de ses quelques 350 références. Contenants, formats, mentions obligatoires et traductions, liste d’ingrédients et valeurs nutritionnelles, gamme colorée, papier et technique d’impression, logistique et stockage : De la récolte des informations à la fabrication, de nombreux éléments sont à prendre en compte et autant d’étapes sont à anticiper dans la création de ces supports. Cela nécessite une parfaite connaissance de la chaîne graphique, des contraintes techniques et légales.
Mais pour ce rendez-vous, je ne suis pas seule. Je suis accompagnée, aujourd’hui et pour les 8 prochaines semaines de Marine, ma toute première stagiaire et de Maëlle, chef de fabrication indépendante à la tête de « La petite Prod », dont j’ai sollicité les lumières pour ce projet. Maëlle m’apporte un véritable soutien technique sur la faisabilité des projets que j’imagine et sur le suivi d’impression. Ce projet marque notre 5ème collaboration.
À l’occasion de ce rendez-vous, j’ai demandé à Marine de réaliser l’interview de Maëlle. Car si je sais l’importance du packaging dans l’épicerie fine, vous êtes trop nombreux à méconnaître cet aspect de la création graphique, à en ignorer toute l’étendue des possibilités, toute la richesse des finitions que l’on peut apporter à un support imprimé et qui peut faire toute la différence. C’est avec enthousiasme que Maëlle a bien voulu répondre à nos questions pour vous éclairer sur son métier.
Propos recueillis par Marine Monnier
Quel est ton parcours professionnel ?
Maëlle : J’ai fait un Bac STI Arts Appliqués, puis un BTS édition à l’école Estienne, à Paris. C’est une formation unique en France dans l’enseignement public qui forme à la connaissance des différents métiers de la chaîne éditoriale et graphique. On y apprend à gérer toutes les étapes de la conception à la réalisation d’un produit éditorial, papier et multi-supports en tenant compte des aspects juridiques, techniques et financiers. J’ai signé mon premier CDD 6 mois après mon diplôme, au service fabrication d’UGC. J’ai travaillé ensuite 2 ans en agence. Puis 5 ans en tant que chef de fabrication chez Eurodif, devenu aujourd’hui Bouchara. Cela fait 10 ans que je suis dans le métier, et 1 an en tant qu’indépendante.
Comment es-tu devenue chef de fabrication ?
Maëlle : C’est un peu par hasard. J’étais dans les arts appliqués et je ne connaissais pas du tout le BTS édition. C’est au moment des portes ouvertes de l’école Estienne, en y allant pour le BTS communication visuelle, où l’on pouvait à peine accéder à la salle, que j’ai découvert cette formation et que j’ai réalisé que ça aussi, ça me plairait ! J’ai toujours été intéressée par le papier, les livres, l’univers de l’imprimerie. Le toucher, la matière, et pas seulement l’image. En fin de compte, c’était peut-être plus ça.
En quoi consiste le métier de chef de fabrication ?
Quelles sont ses missions ?
Maëlle : Mon métier, c’est avant tout du conseil, sur les papiers, les techniques d’impression. Je travaille presque toujours en collaboration avec un(e) graphiste mais il est possible d’être en contact direct avec le client s’il a déjà des éléments graphiques à sa disposition. C’est vraiment un échange pour pouvoir proposer des solutions qui correspondent aux attentes du client, tout en posant les limites de ce qui sera réalisable techniquement. Car parfois, certains graphistes ne tiennent pas forcément compte de ces aspects là à la création et se retrouvent enfermés dans un projet irréalisable. Les machines ont leurs limites. Alors ils viennent avec leur projet et me demande « est-ce vraiment réalisable ? Comment ? Est-ce que cela rentre dans le budget de mon client ? » Je suis là en soutien au démarrage du projet puis lorsque le brief est bien établi, j’interroge plusieurs imprimeurs – chaque imprimeur à ses spécialités, je fais rarement tout au même endroit, pour une question d’expertise métier de chacun – pour dénicher les meilleurs tarifs, puis je suis la production jusqu’à la livraison, de façon à assurer un rendu final conforme aux attentes du client. Je fais office d’intermédiaire entre le graphiste et l’imprimeur car je parle leur langage, je connais les termes techniques et je peux ainsi leur éviter des incompréhensions, des malentendus, des déceptions.
Quelles sont les qualités et les responsabilités d’un chef de fabrication ?
Maëlle : Le relationnel, car on est en contact permanent avec les clients ou les prestataires. L’organisation, parce qu’il y a beaucoup d’aspects techniques à gérer en parallèle sur plusieurs projets en même temps, avec des délais et des budgets à respecter. La réactivité, parce qu’on est en bout de chaîne, et qu’à ce stade, les projets sont souvent urgents et qu’il faut aller au plus vite. Enfin de la rigueur, s’assurer que tout corresponde à la création originale, et que le niveau de qualité attendue soit parfaitement respecté.
La devise du chef de fabrication, c’est « coût, qualité, délai». Notre responsabilité réside dans le bon respect de chacun de ces aspects. Respecter le budget, la qualité et le délai pour lesquels tu t’es engagé et qui sont attendus par le client.
Quelle est ta valeur ajoutée par rapport à des « bureaux de fabrication » ?
Maëlle : Si je me mets à la place du client, je dirais tout d’abord des coûts réduits intimement lié à la taille de la structure. En tant qu’indépendant, nous avons moins de charges à répercuter sur le client. Mais de mon point de vue, c’est surtout l’aspect humain, une relation privilégiée avec un interlocuteur unique, qui se sent vraiment concerné par votre projet. Personnellement, je tire de mon travail et des projets réalisés une vraie satisfaction qui me pousse à donner toujours le meilleur de moi-même. Pour toutes ces raisons, le traitement du client est totalement différent, avec une véritable relation basée sur la réactivité et sur un engagement plus important en terme de temps et d’investissement.
Pour quel type de structure travailles-tu ?
Maëlle : C’est très diversifié. Quand j’étais salariée, mon agence était spécialisée dans le secteur du luxe. Aujourd’hui, cela va du particulier – la plupart du temps pour des faire-part, via un(e) graphiste – aux multinationales. On ne le réalise pas, mais les supports de communication sont omniprésents (stickers vitrine, plv, affiche, poster, flyers, brochure, figurine, etc.), et toute entreprise à besoin un jour de faire réaliser des supports imprimés. Si ils n’ont personne d’assez qualifié pour s’en occuper en interne, ils font appel à moi. Leur point commun, ce sont des gens qui ont conscience de l’importance du visuel et qui sont prêts à investir sur leur com’, même si cela représente un investissement important pour leur entreprise. Ce sont des clients qui ont un certain budget pour pouvoir s’offrir mes services et ceux d’un graphiste, et faire appel à des imprimeurs qui proposent des papiers de création, avec un certain nombre de finitions, pour des réalisations complexes.
Comment t’es-tu fait ton réseau de fabricants ?
Maëlle : Cela s’est fait avec l’expérience, au fil des années, des demandes et des différents projets. Au démarrage, je dois à la chef de fabrication d’UGC de m’avoir ouvert son réseau, et mise en contact avec l’ensemble des prestataires déjà référencés chez eux. Puis au gré des demandes, j’ai peu à peu élargit mon réseau pour travailler régulièrement aujourd’hui avec une dizaine de fabricants. Mais j’en ai certainement interrogé plus d’une centaine depuis le début de ma carrière. La recherche de prestataire, c’est vraiment le cœur de mon métier, et cela repose pour beaucoup sur l’élaboration d’un réseau de confiance. Pour autant, j’aime aussi sortir de ma zone de confort avec des demandes nouvelles ou insolites. Mais sur des demandes ponctuelles, ce n’est pas dit que j’arrive à avoir le meilleur tarif car je n’aurais pas le poids que je peux avoir sur du papier. Je ne travaille qu’avec des prestataires français car produire à l’étranger impose des délais rallongés qui posent souvent problème et des coûts de transport difficiles à amortir. Ou alors pour aller chercher une compétence que l’on aurait pas en France ou pour un projet très complexe qui coûterait beaucoup trop cher ici.
Quelles sont les étapes du processus de fabrication ?
Maëlle : La première étape, c’est le premier contact avec le créatif en parallèle de la création. Puis la réception du brief de fabrication. Cela peut se faire en même temps que le brief créa et permet de gagner du temps car je vais relever d’autres choses, poser immédiatement les limites, me positionner sur des conseils papier et sur des conseils techniques. En fonction de la complexité du projet, plusieurs échanges seront nécessaires avant de passer en production. En contact avec les différents papetiers, je peux fournir un certain nombre d’échantillons papier pour aider le client à arrêter son choix.
Audrey : Ça, c’est vraiment un plus au niveau de ta prestation. Car toi, en tant que particulier, si tu contactes un imprimeur, il ne va pas forcément faire ce travail de prototype, d’échantillons, de recherche de solutions. Il va aller droit au but et te proposer les papiers qu’il a en stock. C’est quelque chose de vraiment appréciable avec Maëlle, sa vraie valeur ajoutée car elle est plus investie dans notre projet, et prends le temps de chercher LE papier parfait, quitte à demander 36 échantillons a proposé au client.
Maëlle : Une fois que le papier et que tous les paramètres du brief de fabrication sont validés, je pars à la recherche des imprimeurs, des prestataires. J’interroge toujours plusieurs imprimeurs pour les mettre en concurrence et présenter la meilleure offre. Ce boulot, c’est aussi beaucoup de relationnel car en tant qu’apporteur d’affaires, tu as plus de poids qu’un particulier auprès des imprimeurs. Les négociations, ce n’est pas forcément tirer les prix vers le bas, mais plutôt négocier un prototype ou une prestation plus complète. Enfin, je présente les devis, auxquels j’ai préalablement ajouté mes honoraires. Après signature du devis, je collecte les fichiers, les vérifie – Avec moi, c’est un intermédiaire supplémentaire qui s’assure de la bonne conformité des fichiers afin d’éviter toutes mauvaises surprises – puis je les transmet au prestataire qui lance la production. À la demande du client, je peux me déplacer chez l’imprimeur pour assurer le suivi d’impression, surveiller les lignes de production et vérifier la conformité du résultat avec la création originale.
Quels sont les supports que tu es amenée à réaliser ?
Maëlle : Ça va de la petite étiquette à la carte de visite, carte de vœux – et toutes autres cartes -, toutes sortes de boites, sac et sachets, du kakémono à l’affiche grand format, du simple flyers au livre d’art, en passant par les enseignes lumineuses, les façades peintes et la vitrophanie, du menu aux ardoises, des décors géants avec des lettres en volumes, des figurines, etc. Je peux tarifer toutes sortes de supports, de matériaux, de format, de quantité, de finitions… Il n’y a de limites que celle de votre imagination – et de votre budget ! L’imprimerie fait chaque jour d’énormes progrès avec l’apparition de nouvelles technologies qui se perfectionnent sans cesse et qui permettent toujours plus de fantaisies.
Quel est le support le plus surprenant sur lequel on t’a interrogé ?
Maëlle : Les cartes de visite comestibles d’Audrey ! ( Ndlr : Je vous en parlerais un jour ! ^^ )
Qu’est-ce-qui influence dans le prix ?
Maëlle : Les quantités d’abord, puis la matière première. Parce qu’en terme de papier, il y a tous les prix, du simple au double, jusqu’à des papiers de création vraiment très onéreux. Il y a ensuite le procédé d’impression – directement influencé par la quantité et qui peut nécessité des frais fixes plus ou moins élevé – les encres, leur nombre ( Attention, les gens pensent souvent que le nombre de couleurs imprimées impacte le prix d’impression, mais c’est faux dans le cas d’une quadrichromie, puisque toutes les couleurs sont obtenues à partir du mélange des 4 encres de ce procédé : Cyan, Magenta, Jaune, Noir ), l’utilisation de Pantones ou non, les finitions ( formes de découpes, pelliculage, vernis, dorures,.. ) et enfin tout ce qui relève de la logistique et de la manutention : le transport, le conditionnement et le stockage.
Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui passe directement par un imprimeur ?
Maëlle : De prêter une attention maximum au descriptif du devis, à ce qu’il inclut, les papiers sélectionnés et les techniques qui vont être utilisées. Certains imprimeurs ont tendance à survendre leur prestations. En tant que chef de fabrication indépendant, je suis là pour mettre en garde le client sur un résultat qui ne serait pas conforme à ce qu’il attend, sur les points forts et points faibles des différentes techniques, des différents papiers. Je suis là pour éviter les mauvaises surprises, et si mauvaise surprise il y a, pour gérer la situation et proposer des solutions. Si vous pouvez y consacrer le temps nécessaire, je conseille d’être présent pour le suivi d’impression, ne pas hésiter à se déplacer, à être en contact quotidien avec l’imprimeur pour s’assurer du bon déroulement du projet, afin d’éviter de découvrir les problèmes trop tard.
Quels conseils de fabrication donnerais-tu à quelqu’un qui souhaite se positionner « haut de gamme » ?
Maëlle : Investir dans les finitions. C’est toujours les finitions et le niveau de détail !
Que t’apporte ce métier ?
Maëlle : L’épanouissement de pouvoir vivre de ma passion, et de la fierté quand un bel objet est réalisé. Il m’apporte aussi de belles rencontres et des échanges passionnants. Et avec la pression des nouveaux challenges, un peu d’excitation.
Pour tous vos projets de fabrication, n’hésitez pas à contacter Maëlle.
Vous n’avez pas toujours besoin d’un graphiste !